- Moi qui adore la plupart des bêtes, j'ai toujours professé
une ardente répulsion pour le chien, que je considère comme
l'animal le plus abject de la création.
Le chien est le type de l'animal larbin, sans fierté, sans dignité,
sans personnalité.
... Une dame pleurarde et sentimenteuse interrompit ma diatribe:
- Oh ! le bon regard humide des bons toutous ! larmoya la personne.
Comme ça vous console de la méchanceté des hommes
!
Il n'en fallut pas plus pour me mettre hors de moi.
Les bons toutous ! Ah ! ils sont chouettes, les bons toutous !
Le chien est aimant et fidèle, dit-on, mais quel mérite
à s'attacher au premier venu uniquement parce qu'il s'intitule votre
maître, beau ou laid, drôle ou rasant, bon ou mauvais ?
On a vu des chiens, dit-on encore, se faire tuer en défendant
leur maître contre un bandit.
Parfaitement, mais le même chien aurait pu être aussi bien
tué en attaquant l'honnête homme pour le compte du bandit,
si ce bandit avait été son maître et si l'honnête
homme avait détenu l'indispensable revolver.
Le chien est un pitre qui fait le jacque pendant des heures,
pour avoir du susucre.
C'est un lâche qui étranglerait un bébé
sur le moindre signe de sa fripouille de patron.
Dans tout chien, il y a un fauve, mais un fauve idiot qui, sans l'excusable
besoin d'une proie personnelle, fait du mal pour la quelconque lubie d'un
tiers.
Le chien est lécheur : il lèche tout.
Il lèche la main qui lui donne un morceau de pain.
Il lèche la botte qui vient de lui défoncer trois côtes.
Il lèche bien d'autres choses, le cochon !
Eh bien d'autres choses encore, le salaud !
Le chien a un instinct épatant, mais une âme de boue.
Ah ! quelle différence avec le chat, avec l'admirable chat !
Je sais par coeur tous les vers que les poètes ont faits sur
les chats, les vers de Gautier, de Baudelaire, de Rollinat, et même
tout le délicieux volume que leur consacra notre bon Raoul Gineste.
Ah ! les chats ! j'aime leur allure harmonieuse, forte, câline
et souple.
J'aime leurs attitudes de mystère et de fierté.
Essayez de les frapper, ceux-là, même en jouant, et vous
verrez quels crocs surgis et quelles griffes !
Ah ! les chats ! En voilà qui en remontreraient à Maurice
Barrès pour l'individualisme et la culture du Moi !
... Mais non, il est généralement convenu que le chien
est un bon toutou, et le chat, à peu d'exceptions près, une
sale bête !
Depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, mon
excellent ami le vicomte A. Bry d'Abbatut se refusait farouchement à
partager mon horreur du chien.
Le chien, disait-il, avait du bon, beaucoup de bon.
Pour sa part, il était heureux de posséder Médor,
un excellent terre-neuve qui avait vu naître son enfant, le petit
Henri, et pour lequel Henri, Médor se serait fait hacher menu.
- Quand Médor est auprès d'Henri, je suis tranquille,
aussi tranquille que si j'avais Henri dans mes bras.
Or, savez-vous ce qui arriva, la semaine dernière, dans la vaste
propriété que possède mon ami le vicomte A.Bry d'Abbatut
sur la Côte d'Azur ?
Non.
Eh bien, je vais vous le dire.
On avait donné au jeune Henri (trois ans et demi), déjà
très assoiffé de sport, une petite voiture et un petit harnachement,
le tout destiné à son véhiculage par l'excellent Médor.
Médor fut enchanté de cette combinaison.
Peu de chevaux, et non des moindres, se seraient aussi correctement
comportés.
Oui, mais un jour que Médor trimbalait Henri dans sa petite
voiture, sur un chemin longeant une rivière, il arriva qu'un jeune
ramoneur piémontais eut l'idée de faire une pleine eau dans
ladite rivière.
Le terre-neuve, n'écoutant que son atavique instinct, ne balança
pas une seconde.
Il se jeta à l'eau, lui, son attelage et le jeune Henri.
Et cet imbécile de chien, pour sauver un Savoyard (2) qu'il
n'avait jamais vu de sa vie et qui, d'ailleurs, ne courait aucun danger,
n'hésitait pas à noyer l'enfant confié à sa
garde !
Autre histoire pour corroborer mon dire:
Un monsieur marié se promenant un matin avec son chien (une
bête fort intelligente à laquelle il tenait comme à
ses prunelles), rencontra une jeune femme très séduisante
et d'abord facile.
Si facile, que cinq minutes après la rencontre, le monsieur
marié et la drôlesse se préparaient à entrer
dans le domicile d'icelle.
Tom avait suivi le couple luxurieux.
Mais la dame refusa l'entrée de ses appartements au toutou.
- Qu'à cela ne tienne ! fit le monsieur.
Et d'un grand coup de pied dans le derrière, il intima au chien
l'ordre de regagner sa demeure.
Tom s'éloigna.
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(Passage interdit par la censure)
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Une demi-heure s'était à peine écoulée,
que retentissait un léger grattement contre l'huis de la courtisane.
- Laisse-le tout de même entrer ! implora le monsieur.
Et il ouvrit la porte lui-même.
C'était en effet, le bon Tom qui se trouvait là, le bon
Totom, mais pas seul.
Le bon Tom était flanqué de la femme du mari adultère
et de M. le commissaire de police du quartier.
Tenace à son vieux renom de fidélité, Tom éprouvait
la plus âpre horreur pour toute espèce de trahison, même
la conjugale.
Et il venait de mettre en pratique ses principes héréditaires
!
- Mais, pourra-t-on objecter, par quel ingénieux procédé
Tom avait-il pu décider l'homme de police à se déranger
?
Sans doute, il avait pris comme interprète son propre collègue...le
chien du commissaire.
Ce qui prouve, une fois de plus, qu'on n'est trahi que par les chiens
!
(1) Il n'est, bien entendu, nullement question dans
cette diatribe des chiens de nos lecteurs (Note de l'auteur).
(2) J'ai dit plus haut que le ramoneur était
Piémontais. La voilà bien, l'unité italienne! (Note
de l'auteur). |